Président de la CFE-CGC Orange, premier syndicat dans l’entreprise, Sébastien Crozier réagit à la décision de la Cour de cassation qui met un point final à l’affaire des suicides chez France Télécom. Et tire la sonnette d’alarme sur la situation actuelle.
Le 21 janvier dernier, la Cour de cassation a rejeté les pourvois de deux ex-dirigeants, Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, dans l'affaire des suicides chez France Télécom, et consacré dans le droit le harcèlement moral institutionnel. Quelle a été votre réaction ?
Les anciens dirigeants sont définitivement coupables de harcèlement moral (encadré ci-dessous). Nos premières pensées sont allées aux familles des victimes de cette violence sociale de dirigeants inconséquents. L’attente de cette décision a été une nouvelle épreuve pour ces familles et les parties civiles dont la CFE-CGC, 6 ans après le jugement initial et 15 à 18 ans après les faits puisque c’est sur la période 2007-2010 que France Télécom (ndlr : devenue Orange en 2013) avait mis en place les plans de restructuration Next et Act visant à supprimer 22 000 emplois et à muter de force 10 000 personnels. Ce sont 35 suicides qui avaient été dénombrés au cours des seules années 2008 et 2009. À titre personnel, je garderai toujours en mémoire l’agonie, durant une heure et demie, d’une collègue qui s’est jetée du cinquième étage dans l’immeuble de mon entité. C’est la systémie de la violence sociale organisée par la direction qui l’avait faite craquer.
Les méthodes de l’actuelle direction d’Orange font ressurgir certains démons du passé »
L’épilogue de ce dossier hors norme et emblématique de la souffrance au travail est-il une satisfaction ?
Aucune victoire juridique ne fait revenir les gens qui nous ont quittés. Ce sont 18 années d’interminables procédures, de témoignages poignants et accablants. Il faut assurément valoriser le caractère novateur de ce qui s’est passé avec la qualification des faits, la consécration, au civil et au pénal, de harcèlement moral institutionnel - je dirais même plutôt systémique-, et le renforcement des peines. Cela doit conduire chaque dirigeant à réfléchir sur les méthodes de management et à garder constamment à l’esprit qu’il n’y a pas de performance économique sans performance sociale. Au-delà des victimes, du mal effroyable fait aux collectifs de travail, cette affaire a aussi généré un énorme coût économique pour l’entreprise.
Désormais, la question fondamentale est de savoir si les enseignements ont bien été tirés. Si Stéphane Richard, ancien président d’Orange entre 2011 et 2022, avait incontestablement su trouver les voies et les moyens de la réconciliation sociale, les méthodes de l’actuelle direction font ressurgir certains démons du passé. Quand l'histoire se répète, la première fois c’est une tragédie ; la seconde fois c’est une farce. Une farce tragique.
Quelles sont ces méthodes que dénonce la CFE-CGC, première organisation syndicale chez Orange ?
En multipliant les réorganisations, les plans de départs volontaires (PDV), les déménagements des personnels, en développant à outrance la sous-traitance et les délocalisations, en réinstaurant le 0 % d’augmentation salariale, l’inquiétude grandit autour d’une nouvelle possible crise sociale. Tout ceci s’apparente à des formes de violences exercées à l’encontre des personnels de l’entreprise. Pour la première fois depuis 13 ans, un suicide - à la suite d’un PDV d’un collaborateur de la division Orange Business à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine) - a été requalifié l’an dernier en accident du travail par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), ce qui souligne la faute inexcusable de l’employeur.
Par ailleurs, la volonté d’augmenter sans cesse les résultats financiers d’Orange à court terme, l’EBITDA (marge brute) et les dividendes, le tout sans la moindre vision stratégique et perspective d’avenir, dégrade le climat social. Depuis la nomination au premier trimestre 2022 de Christel Heydemann à la direction générale d’Orange, tous les signaux sont inquiétants. La CFE-CGC alerte donc quant à des méthodes ressemblant à celles de la triste période France Télécom. Il faut sortir de cette idéologie néolibérale qui ne prend absolument pas en compte les spécificités d’une entreprise stratégique pour la souveraineté de notre pays. De surcroît, le téléphone, les réseaux de communication, fixe ou mobile, cela sauve des vies.
La direction d’Orange tend à dénier le droit à l’intelligence des organisations syndicales, leur capacité à proposer des solutions construites sur la connaissance des métiers et du terrain »
Dans ce contexte, qu’en est-il du dialogue social dans l’entreprise ?
Honnêtement, il est proche de zéro. La nouvelle direction n’a pas la culture des métiers des nouvelles technologies et encore moins des télécommunications. Elle ne mesure pas combien c’est l’humain qui va générer la productivité et l’efficacité. Elle tend à dénier le droit à l’intelligence des organisations syndicales, leur capacité à proposer des solutions construites sur la connaissance des métiers et du terrain. La disparition des CHSCT a qui plus est fortement pénalisé le travail des militants syndicaux s’agissant des conditions de travail et de la sécurité au travail. Les élus CSE se retrouvent souvent débordés pour traiter tous ces sujets.
Quelle est la dynamique de la CFE-CGC Orange ?
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